Biographie d'Étienne de la Boétie
Laurent Gerbier
Université de Tours
Étienne de La Boétie est né en 1530 à Sarlat. Son père Antoine meurt en 1540 : il est élevé par son oncle Estienne, qui après avoir comme son frère pris ses grades en droit à Toulouse dans les années 1520 a choisi la carrière ecclésiastique, et qui administre les biens de son frère après son décès. On ne sait presque rien de la première éducation d’Étienne, sinon qu’elle a lieu à Sarlat. On ne sait pas non plus où Étienne ira au collège : pas à Bordeaux, c’est certain, mais où ? Peut-être à Toulouse, mais peut-être aussi à Paris, ce qui expliquerait ses liens avec les futurs poètes de la Pléiade (Ronsard, Baïf, Du Bellay, qu’il cite dans la Servitude Volontaire). En revanche, les registres de l’université d’Orléans nous apprennent qu’il est licencié en droit en septembre 1553 : cela indique un cursus complet, qui ajoute à la lecture des auteurs classiques le maniement des belles-lettres appliquées au droit.
La Boétie est un « juriste lettré » : formé au droit mais aussi aux humanités classiques, c’est un excellent traducteur du grec (on a de lui une traduction des Économiques de Xénophon, et deux traductions de Plutarque, qui figurent dans les Œuvres de La Boétie publiées par Montaigne en 1571), un latiniste émérite, et aussi un poète capable de composer des vers en latin comme en français.
Une fois son diplôme obtenu, La Boétie obtient une dispense royale pour pouvoir devenir conseiller au parlement avant l’âge légal de 24 ans. En 1554, il devient donc conseiller au Parlement de Bordeaux. La même année, il épouse Marguerite de Carles, fille du président de Parlement de Bordeaux et sœur de Lancelot de Carles, évêque de Riez (et familier du roi Henri II). À cette date, La Boétie a déjà écrit son discours de la Servitude Volontaire, qui circule sous forme manuscrite parmi ses collègues à Bordeaux : c’est par le biais de ce texte que Michel de Montaigne, qui arrive au Parlement de Bordeaux en 1557, fait la connaissance de La Boétie. Les deux hommes nouent une amitié qui deviendra célèbre.
Entre 1557 et 1560, La Boétie remplit les fonctions habituelles d’un conseiller au Parlement ; en 1560, il est en mission à la Cour, et on sait qu’il assiste en décembre 1560 aux États Généraux d’Orléans. Mais cette période est aussi celle du durcissement des conflits confessionnels en France : en décembre 1559, le protestant Anne du Bourg, dont La Boétie avait suivi les cours de droit à Orléans, est exécuté à Paris. Dans le Sud-Ouest aussi, la situation devient explosive. En 1561, La Boétie participe aux missions de pacification de l’Agenais aux côtés de Charles de Coucy, seigneur de Burie, lieutenant-général de Guyenne.
En janvier 1562, l’Édit de Saint-Germain tente d’imposer une réglementation du culte protestant. Manifestation d’une politique plus conciliante, conforme aux vues du chancelier Michel de L’Hospital, cet édit fait l’objet du dernier texte connu de La Boétie, le Mémoire sur la pacification des troubles, également appelé Mémoire sur l’édit de janvier. Cependant le massacre de Wassy en mars 1562 achève de précipiter le conflit dans sa phase la plus violente. En décembre La Boétie est enrôlé dans la défense de Bordeaux.
En juillet 1563, au retour d’une dernière mission de pacification en Périgord et en Agenais, La Boétie tombe malade. Il se réfugie chez sa sœur, à Germignan, près de Bordeaux. Montaigne le rejoint quelque jours avant sa mort, le 18 janvier 1563, à 33 ans.
Manuscrits du Discours de la servitude
1
Manuscrit de Mesmes, Paris, BNF, Fonds Français, ms 839
Ce manuscrit, dont on a longtemps considéré qu’il avait été directement offert par Montaigne à Henri Ier de Mesmes, à qui Montaigne dédie en 1571 la traduction des Règles de mariage de Plutarque par La Boétie (dans les Œuvres de ce dernier qu’il édite chez Frédéric Morel, voir ci-dessus), est la source de la plupart des éditions modernes. Il est très certainement antérieur aux imprimés protestants (voir ci-dessous). Henri de Mesmes (1532-1596), conseiller du roy, maître des requêtes, chancelier d’Henri de Navarre, est peut-être lui-même l’auteur de l’esquisse de réponse manuscrite qui suit le texte sous le titre « Contre La Boétie ». Le manuscrit entre dans les collections de la bibliothèque royale en 1731 lors de la vente de la bibliothèque d’Henri de Mesmes par ses descendants.
2
Manuscrit Dupuy, Paris, BNF, Fonds Dupuy, ms 238-239.
Manuscrit longtemps considéré comme une copie réalisée à la demande de Montaigne pour l’avocat Claude Dupuy (1545-1594), il porte le titre « La Servitude volontaire de M. La Boëtie ». Juriste lettré, élève de Turnèbe, de Forat et de Cujas, Dupuy voyage en Italie en 1570-1571 et fait la connaissance de Gian Vincenzo Pinelli (voir ci-dessous le manuscrit Pinelli), avant de devenir conseiller au Parlement de Paris en 1576. Ses deux fils, Pierre et Jacques, seront tous deux bibliothécaires de la Bibliothèque Royale, où le manuscrit entre avec toute la bibliothèque des Dupuy à la mort de Jacques en 1657.
3
Manuscrit Sainte-Marthe, Paris, BNF, Fonds Français, ms 21057
Anonyme, sans marque de possesseur, ce manuscrit qui pourrait être une copie fondée sur les Mémoires de l’Estat de France (voir ci-dessous) est le seul qui donne le titre « Discours de la Servitude volontaire ». Il occupe les derniers feuillets (f° 551-593) d’un recueil de pièces sur l’histoire de France provenant de la bibliothèque des frères Louis et Scévole de Sainte-Marthe, recueil qui n’a peut-être été assemblé qu’à la fin du XVIIe siècle.
Le manuscrit Sainte-Marthe n’est pas consultable en ligne (le recueil des pièces sur l’histoire de France, disponible en ligne, n’a malheureusement été numérisé que jusqu’au f° 402).
4
Manuscrit Séguier, Paris, BNF, Fonds Français, ms 17298.
Manuscrit du XVIIe siècle, parfois considéré comme une copie du manuscrit Dupuy. Il fait partie de la bibliothèque du chancelier Pierre Séguier (1588-1672), une des plus importantes bibliothèques privées du XVIIe, estimée à 34 000 volumes. Il occupe les f° 99r°-140v° d’un recueil intitulé « Divers avis d’Estat et autres discours de conséquence ». Les manuscrits de cette bibliothèque, légués en 1731 à l’abbaye de Saint-Germain des Prés, entrent à la BNF en 1794 avec les saisies révolutionnaires.
5
Manuscrit Piochet, Chambéry, Arch. Dép. de la Savoie, ms 1J279-10
Manuscrit identifié par Jean-Paul Barbier en 1990, ayant appartenu à Jehan Piochet de Salins (1532-1624), et figurant dans le volume X de ses livres de raison. Piochet, issu de la petite noblesse de robe savoyarde, est proche de Marc-Claude de Buttet, ami de la Pléiade et protégé de Marguerite de Savoie ; ses livres de raison portent la marque de l’activité littéraire de ses jeunes années. Le catalogue de sa bibliothèque montre un intérêt certain pour les conflits confessionnels en France et pour la littérature politique.
Non consultable en ligne, ce manuscrit est présenté et transcrit par Renzo Ragghianti dans John O’Brien et Marc Schachter (dir.), La première circulation de la Servitude Volontaire en France et au-delà, Paris, Champion, 2019 (présentation p. 141-168, transcription p. 359-398).
6
Manuscrit Pinelli, Milan, Biblioteca Ambrosiana, A 70 Inf.
Manuscrit identifié par Jean-Eudes Girot en 2001, ayant appartenu à Gian Vincenzo Pinelli (1535-1601), humaniste et homme de science, dans le cénacle duquel figura Galilée. Pinelli est par ailleurs l’ami et le correspondant de Claude Dupuy (voir ci-dessus), dont il a fait la connaissance durant le voyage de ce dernier en Italie en 1570-1571. Le manuscrit occupe les f° 57-71 d’un petit recueil comportant divers textes humanistes : il intervient juste après une brève exposition de la question du changement des républiques chez Platon et Aristote.
Non consultable en ligne (voir cependant la notice sur le site de la Biblioteca Ambrogiana, qui présente une reproduction du sommaire du recueil), ce manuscrit est présenté et transcrit par Jean-Eudes Girot dans John O’Brien et Marc Schachter (dir.), La première circulation de la Servitude Volontaire en France et au-delà, Paris, Champion, 2019 (présentation p. 169-185, transcription p. 399-423).
7
Manuscrit Mériadeck, Bordeaux, Bibliothèque Mériadeck, Bx 2199.
Identifié par Hélène Bellaigue à Mériadeck en 2003 dans le fonds Louis Delpit (entré à la BM de Bordeaux en 1892), le manuscrit a été transcrit et mis en ligne par Alain Legros pour les « Bibliothèques Virtuelles Humanistes » (CESR, Université de Tours) en 2013. Le manuscrit porte le titre « Contre la tirannie et tirans », corrigé d’une autre main (ou au moins avec une autre encre) par le titre « La servitude volontaire ». Il offre un état du texte très différent des autres versions (manquent les deux adresses à Guillaume de Lur, seigneur de Longa, ainsi que le long passage sur les emblèmes de la monarchie française et la Pléiade).
D’autre part, ce manuscrit est présenté par Michel Magnien et transcrit par Alain Legros dans John O’Brien et Marc Schachter (dir.), La première circulation de la Servitude Volontaire en France et au-delà, Paris, Champion, 2019 (présentation p. 186-218, transcription p. 425-448).
8
Manuscrit Folger, Washington, DC, Folger Shakespeare Library, V. b. 49.
Ce manuscrit, identifié par Marc Schachter en 2008, a peut-être appartenu à Martin Couvay (1530-1598), conseiller et secrétaire du roi, et beau-frère de Claude Binet, biographe de Ronsard.
Non consultable en ligne, ce manuscrit est présenté et transcrit par Marc Schachter dans John O’Brien et Marc Schachter (dir.), La première circulation de la Servitude Volontaire en France et au-delà, Paris, Champion, 2019 (présentation p. 113-139, transcription p. 331-358).
9
Manuscrit Beale, Londres, British Library, Add. MS. 48043.
Identifié par John O’Brien en 2018, ce manuscrit a appartenu à Robert Beale (1541-1601), diplomate humaniste, secrétaire du conseil privé d’Elisabeth I, ami de Philip Sidney. Beale se le serait procuré pendant son ambassade à Paris (1566-1572), ce qui en fait un contemporain du manuscrit de Mesmes, ce qui en fait un manuscrit antérieur aux impressions protestantes : le filigrane est de 1550-1570).
D'autre part, ce manuscrit est présenté et transcrit par Marc Schachter dans John O’Brien et Marc Schachter (dir.), La première circulation de la Servitude Volontaire en France et au-delà, Paris, Champion, 2019 (présentation p. 113-139, transcription p. 331-358).
10
Manuscrit Cassation, Paris, Bibliothèque de la Cour de Cassation, ms 241, f° 164-185.
Identifié par John O’Brien en 2020 dans les fonds manuscrits de la bibliothèque de la Cour de Cassation à Paris, ce manuscrit est relié dans un recueil de mélanges relatifs à la régale dans les provinces du midi, produit à Paris par Antoine Vitray en 1639 ; il y occupe les f° 164-185.
Éditions imprimées du XVIe siècle
Vive Description de la tyrannie, & des Tyrans, Reims, Jean Mouchar, 1577.
Montaigne éditeur de La Boétie
En 1571, Montaigne publie à Paris, chez Frédéric Morel, un recueil des œuvres de son ami. Ce recueil contient six pièces, que Montaigne choisit de dédier à six personnalités différentes :
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La traduction de l'Œconomique de Xénophon, du grec au français, sous le titre de Mesnagerie (que Montaigne adresse à M. de Lansac)
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La traduction des Règles de mariages de Plutarque, du grec au français (que Montaigne adresse à Henri de Mesmes)
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La traduction d’une lettre de consolation de Plutarque à sa femme, du grec au français (que Montaigne adresse à sa femme)
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Les Poemata, poésies latines (que Montaigne adresse à Michel de L’Hospital)
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Les Vers françoys (que Montaigne adresse à Mme de Grammont)
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La lettre de Montaigne à son père sur la mort de M. de La Boétie
Comme on le voit, le recueil ne contient ni la Servitude volontaire ni le Mémoire sur la pacification des troubles : le second ne fut redécouvert qu’au début du XXe siècle par Paul Bonnefon à la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence. Quant au premier, Montaigne voulait lui faire une place de choix au milieu du premier volume de ses Essais, mais il dut y renoncer, le texte se trouvant dès 1574 repris dans plusieurs recueils de pamphlets protestants (voir ci-dessus leur détail). La Servitude volontaire, jamais publiée du vivant de son auteur, ne devait plus connaître d’impression avant l’édition des Essais de Montaigne par Pierre Coste en 1725, qui donne le texte de La Boétie en annexe.
Publications
Articles, thèses et mémoires autour de la Boétie -
Publications de la SIALB
Depuis 2011, 5 volumes ont été publiés dans la collection Cahiers La Boétie aux Éditions Classiques Garnier.
Deux volumes ont été publiés dans la série « La Boétie : études textes » de la collection Études Montaignistes aux Éditions Classiques Garnier.